Inscription du Xeer Ciise comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO

Le 5 décembre 2024, le Xeer Issa (Xeer Ciise) a été inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, symbolisant une étape cruciale dans la reconnaissance des systèmes juridiques et culturels autochtones de la Corne de l'Afrique.

Cette inscription a été célébrée lors de la conférence scientifique « Patrimoines vivants : un réservoir de savoirs et de savoir-faire à explorer », tenue à Djibouti le 21 décembre 2024. L'événement a réuni chercheurs, responsables gouvernementaux, membres des communautés locales et acteurs internationaux, mettant en lumière l'importance de cette reconnaissance et les opportunités qu'elle offre pour valoriser les savoirs endogènes.

Une conférence dédiée aux savoirs endogènes

La conférence a exploré la richesse et la complexité des systèmes de gouvernance endogènes, en particulier le Xeer Issa. Ce système juridique et politique, créé par des sociétés pastorales, est à la fois un cadre de régulation sociale, un modèle de gestion communautaire et une source d'inspiration pour les questions contemporaines de gouvernance. En s'appuyant sur des principes fondamentaux comme la solidarité, la justice réparatrice et le consensus, le Xeer présente une alternative aux paradigmes modernes, souvent centralisés.

Lors de la conférence, les intervenants ont rappelé les défis rencontrés pour documenter et préserver le Xeer, notamment son caractère oral. Selon un intervenant majeur, la recherche sur le Xeer a révélé sa profondeur philosophique et sa rigueur juridique. 

L’inscription du Xeer sur la liste du patrimoine mondial est le fruit d’un long travail de recherche et de collaboration entre les communautés locales et les chercheurs. Ces derniers ont apporté leur expertise pour démontrer la pertinence et la complexité du Xeer, et sa capacité à répondre aux défis contemporains de gouvernance, tout en préservant des valeurs de solidarité et d’équité.

Les dimensions multiples du Xeer Issa

Le Xeer est un système multidimensionnel comprenant :

1. Une vision ontologique : le Xeer ancre la communauté dans une conception partagée de l'univers et des relations humaines, médiées par des principes de solidarité et de respect mutuel.
2. Un droit pénal : structuré autour de la réparation et de la réconciliation, le Xeer prévoit des sanctions proportionnelles pour les délits, allant des indemnités en têtes de bétail à des mesures sociales visant à restaurer l'harmonie communautaire.
3. Une constitution politique : avec ses organes de gouvernance tels que le Guddi (assemblée des sages) et l'Ugaas (leader spirituel), le Xeer met en avant un modèle de prise de décision basé sur le consensus.
4. Un code de conduite : ce cadre inclut des normes sociales et éthiques visant à promouvoir la paix et la cohésion sociale.

Valorisation d'autres formes de gouvernance endogènes

Au-delà du Xeer, la conférence a également mis en avant d'autres formes de droits et de gouvernances endogènes présentes à Djibouti et dans la région. Parmi celles-ci :

• Le Madqa : Système axé sur la médiation et la résolution des conflits.
• La Fiqma : Mécanisme traditionnel d’intronisation et de désignation des leaders communautaires, ancré dans des pratiques symboliques et culturelles profondes.
• Les systèmes d’intronisation de l’Ugaas et du Sultan : Ces structures incarnent une gouvernance basée sur des valeurs spirituelles, éthiques et sociales, offrant des modèles alternatifs pour la gestion communautaire.

Ces pratiques, bien que parfois perçues comme anciennes, jouent encore un rôle central dans la gestion des conflits et la préservation de la paix au sein des communautés. La conférence a permis de créer des ponts entre ces systèmes, en soulignant leurs similitudes et leurs complémentarités, tout en les adaptant aux réalités contemporaines.

Perspectives régionales et internationales

La présence d’une grande délégation éthiopienne, comprenant S.E. Mme Warsan Awil Mohamed - Ministre régionale de la Culture, Mme Ayaan Ali Moussa, Députée Fédérale et présidente de la Sitti Foundation, ainsi que d’autres responsables somaliens et djiboutiens, a souligné l’importance de la coopération régionale pour préserver et valoriser les traditions communes. Cette collaboration tripartite entre Djibouti, l’Éthiopie et la Somalie a renforcé l'idée que le Xeer est un patrimoine vivant commun, transcendant les frontières nationales. Les chercheurs ont également appelé à intégrer ces savoirs dans les politiques publiques, tout en respectant les contextes locaux.

Vers une revalorisation des patrimoines immatériels

L'inscription du Xeer Issa marque une étape décisive pour la reconnaissance des systèmes juridiques et culturels africains. Elle invite à dépasser les visions hégémoniques du patrimoine en intégrant des approches critiques et décoloniales. Comme l'ont souligné plusieurs intervenants, le Xeer remet en question la dichotomie tradition-modernité et offre un modèle alternatif de gouvernance adapté aux sociétés modernes.

Conclusion

L'inscription du Xeer Issa sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO représente bien plus qu’une reconnaissance symbolique. Elle constitue un acte fort pour la valorisation des savoirs endogènes et des systèmes de gouvernance autochtones, offrant une perspective nouvelle sur l’universalité des patrimoines culturels. Ce jalon met en évidence la diversité culturelle en tant que richesse mondiale et outil essentiel pour favoriser le dialogue interculturel et la compréhension mutuelle.

En intégrant le Xeer Issa dans le patrimoine mondial, l’UNESCO souligne l’importance d’une approche inclusive qui transcende les frontières géographiques et politiques. Le Xeer illustre comment des pratiques ancrées dans l’histoire peuvent rester pertinentes dans la gestion des défis modernes, qu’il s’agisse de cohésion sociale, de justice ou de gouvernance.

Au-delà de Djibouti, cette inscription appelle à une mobilisation pour protéger et promouvoir d’autres systèmes culturels et juridiques immatériels à travers le monde. Elle invite à envisager le patrimoine comme un levier pour construire des sociétés plus inclusives, solidaires et respectueuses des spécificités locales. En revalorisant ces traditions vivantes, nous renforçons non seulement notre mémoire collective, mais également notre capacité à imaginer un futur plus harmonieux.