Au restaurant de Madame Zahra, « Qu’importe l’origine des plats, tant que c’est bon ! »
07 mars 2024
Djibouti
Chaque jour vers midi, dans une étroite ruelle du quartier 2, dans le centre-ville de la capitale djiboutienne, des hommes et des femmes de tout âge se rassemblent devant une petite échoppe.
A l’approche de la devanture d’un vert lumineux, on entend un passant murmurer, "J'espère qu'il reste du riz !". Cette échoppe, c’est la maison de Madame Zahra, qui fait aussi office de restaurant. Depuis bientôt 15 ans, elle prépare une variété de plats qui réjouissent le voisinage, et aidée de ses dix enfants, gère sa petite entreprise avec succès.
Si aujourd’hui le restaurant de Madame Zahra ne désemplit pas, lui permettant d’accueillir sous son toit trois générations, il a fallu à cette femme beaucoup de force et de courage pour en arriver là.
Née dans la région de Harar en Éthiopie, Zahra Mohamed a migré vers Djibouti en 1981, animée par l'espoir d'une vie meilleure pour elle-même et sa famille. Elle a voyagé seule, sans ressources ni proches, et se souvient : "Les gens étaient très accueillants, ils m'offraient de la nourriture et m'aidaient à payer mon loyer. Mais je devais travailler pour envoyer de l'argent à ma famille." Elle a commencé par des emplois de travailleuse domestique, de maison en maison.
C’est à Djibouti que, deux ans après son arrivée, la jeune Zahra a rencontré son mari. Un jeune homme également éthiopien qui avait migré depuis la région de Dire Dawa. Ensemble, ils ont construit une nouvelle vie à Djibouti, élevant leurs enfants dans la petite maison du quartier 2 qui servait alors d’atelier de tailleur pour le mari de Zahra.
Le décès soudain du père de famille au début des années 2000 a exacerbé les défis lies au statut de migrante de Zahra. En effet, sans famille proche sur laquelle s’appuyer et avec de nombreux enfants à charge, Madame Zahra a dû se réinventer une nouvelle fois. « C’était difficile mais le sort de mes enfants reposait sur moi, c’est ce qui m’a donné de la force ». Elle a pu compter sur le soutien inébranlable de ses enfants ainés et la solidarité de son voisinage pour se lancer dans l’entreprenariat. Après plusieurs essais de petits commerces infructueux, Madame Zahra a transformé sa maison en restaurant. Quand on lui demande quel type de cuisine elle propose, elle répond en souriant : "Qu’importe l’origine des plats. Tant que c’est bon, tout le monde mange !".
La détermination et l’endurance de Zahra sont une source d’inspiration, en particulier pour ses enfants. Kifaya, l’une de ses filles nous confie son admiration, expliquant que le fait d’avoir vu sa mère surmonter de nombreuses épreuves lui donne l’assurance qu’elle sera prête à faire de même, en suivant son exemple. Kifaya affirme aussi “Si je cuisine aussi bien, c'est grâce à ma mère qui m'a tout appris". Kifaya est une jeune femme active et investie. Elle aide Zahra avec le restaurant, travaille dans boutique de vêtements, et en dehors de ses heures de travail, collabore avec l'OIM en tant qu'interprète et bénévole lors de certaines activités qui ont lieu dans son quartier. "J'aime aider et apporter mon aide aux plus vulnérables. Nos voisins nous ont beaucoup soutenu quand nous étions plus jeunes, et maintenant que je suis adulte, c'est à mon tour d'aider ceux qui en ont besoin".
Cependant, les femmes migrantes comme Madame Zahra sont souvent surreprésentées dans les emplois informels et précaires. Pour renforcer l’inclusion financière des personnes migrantes, y compris des femmes, et de leur famille, le Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières appelle à la mise en place de programmes et d'instruments tenant compte de la dimension de genre.
En collaborant avec les gouvernements, les partenaires locaux et les communautés, l'OIM s'efforce de créer un environnement propice à l'autonomisation et au bien-être des femmes migrantes, contribuant ainsi à la réalisation des Objectifs de développement durable des Nations unies en matière d'égalité des sexes et d'autonomisation des femmes.
En 2021, 13% des déplacements le long de la Route de l'Est à Djibouti étaient effectués par des femmes et filles. Ce chiffre a augmenté à 22% en 2022. Les investissements financiers dans les femmes restent insuffisants, nécessitant un supplément pour atteindre l’objectif 5 des objectifs de développement durable.
L’OIM soutient les femmes et des filles migrantes, déplacées ou issues de la diaspora, dans toute leur diversité. Leur apport est déterminant si l’on veut parvenir à tirer profit comme il convient des avantages potentiels de la migration, afin de remettre le Programme 2030 sur les rails. L’OIM appelle à investir dans un financement soucieux des questions de genre, aux fins du développement durable et d’une action énergique pour le climat, en veillant à ce que les actrices et acteurs de changement jouent un rôle central dans le processus.
Écrit par
Kaousar Saad
OIM
Gestionnaire du programme de lutte contre la traite des personnes & Communication