Autre Regard, l’association aux avant-postes de la lutte contre le VIH à Djibouti
Djibouti connait une diminution régulière de la propagation du VIH depuis ces dernières années.
En effet, en un peu plus de 10 ans, le pays a connu un recul de près de 64% du nombre de personnes vivant avec le VIH, passant d’une estimation de 12 216 personnes en 2009[1] à 4 438 en 2022[2]. Cette diminution a pour corolaire la baisse de 65% du nombre de nouvelles infections entre 2010 et 2022, passant de 358 cas en 2010 à 117 nouveaux cas en 2022. Ces chiffres encourageants vont dans le sens de l’objectif que s’est fixé le « Plan Stratégique National Intégré de lutte contre le VIH/Sida, les hépatites virales et les IST 2023-2027 » de réduire de 90% le taux de nouvelles infections d’ici 2027. Ils sont le fruit des efforts remarquables fournis par le Programme de Lutte contre le VIH-Sida – Santé (PLS-S) et démontrent que des progrès tangibles ont été réalisés par la république de Djibouti ces dernières années en matière de dépistage et d’accès aux soins. Ces avancées décisives n’ont été possibles que grâce à l’appui fourni par les partenaires techniques et financiers du pays, notamment le Fonds Mondial et les agences des Nations Unies.
Les bons résultats de Djibouti dans la lutte contre la maladie ne sont pas le seul fait de l’amélioration de l’offre de soins par le PLS-S. Les efforts de sensibilisation, de prévention, d’accompagnement et de prise en charge sociale et psychologique effectués par les organisations de la société civile ont, pour beaucoup, contribué à améliorer l’identification et la connaissance des populations touchées par le VIH.
A Djibouti, peu d’associations sont impliquées dans la lutte contre le VIH/Sida. La maladie, comme toutes les maladies liées au sexe, est encore très taboue dans la société djiboutienne et source de stigmatisations. Parmi les rares associations à œuvrer sur le terrain, Autre Regard est sans doute la plus active. Méconnue du grand public, l’association concentre ses activités de sensibilisation et d’accompagnement auprès des populations les plus vulnérables de Djibouti-ville. Avec moins d’une dizaine de Pairs Educateurs (PE) issus de ces mêmes populations et formés au travail de sensibilisation, l’association sillonne les quartiers de la ville pour identifier les personnes ayant un comportement à risque et les inciter à se faire dépister.
Pour sensibiliser les personnes à risques, les PE leur fournissent des conseils en matière de prévention et de réduction des risques sexuels, s’efforcent de prendre leurs contacts dans le but d’établir une relation de confiance, procèdent à la distribution de matériel de prévention (préservatifs masculins, féminins, gels lubrifiants) et les orientent vers les services de soin appropriés.
Saïd, jeune pair éducateur vivant avec le VIH, explique la stratégie qu’il adopte pour approcher une personne ayant un comportement à risque dans un des « points chauds » de la ville.
« J’observe les personnes, je fais semblant de m’amuser moi aussi, et lorsque je vois quelqu’un que j’estime à risque, je vais lui parler. Je lui explique que son comportement est dangereux et que le risque de contamination existe. Je lui dis que je suis séropositif, que je vis bien avec ma maladie et que je peux l’aider à connaître son statut si c’est son souhait. »
Saïd et ses collègues tentent ainsi d’approcher et de sensibiliser au dépistage des centaines de Djiboutiens, souvent la nuit, dans la vingtaine de « points chauds » identifiés par l’association à savoir des lieux de rassemblements nocturnes constitués autour des points de prostitution, de vente de drogues et d’alcool, des lieux de fête, etc.
Le travail effectué par les PE d’Autre Regard n’est pas aisé. Mohamed, qui comme Saïd vit avec le VIH, témoigne du fait que la sensibilisation au sein de certaines communautés est parfois difficile.
« Parfois, on nous accueille avec des coups, des menaces, des crachats et des insultes. Parfois, même dans les services de santé nous sommes victimes de discrimination parce que les gens ne connaissent pas la maladie et nous stigmatisent. »
Les PE de l’association ainsi que les bénéficiaires issus des populations clés vulnérables font le même constat que Mohamed. L’un des plus grands obstacles qu’ils rencontrent est la stigmatisation ou la peur d’être stigmatisé par la société, le voisinage, les connaissances et même par leur famille. Tous les PE admettent que leurs familles n’ont aucune idée du travail qu’ils réalisent auprès des communautés en matière de lutte contre le VIH. Certains n’ont d’ailleurs pas dévoilé leur séropositivité. La peur de la stigmatisation contraint les PE à travailler dans des zones éloignées de leurs lieux de résidence pour assurer leur anonymat.
Cette peur du stigma représente un obstacle difficile à franchir par les personnes à risque au moment de se faire dépister. Fatouma, une jeune femme bénéficiaire des actions de soutien d’Autre Regard, confirme que :
« Les personnes vivant avec le VIH sont pointées du doigt, rejetés, et les personnes finissent par s’isoler. Quand on sait que les malades sont stigmatisés, cela ne donne pas envie de se faire dépister. »
L’approche communautaire de la maladie par le biais des PE, eux-mêmes personnes vivant avec le VIH ou membres des communautés vulnérables, permet de dépasser le stigma et la peur par l’identification et le partage d’expérience. L’appartenance des PE aux même groupes sociaux que les personnes à risque, en témoignant de leur vécu, permet de mener un dépistage par l’exemple.
« Pour sensibiliser les gens autour de moi, j’utilise mon histoire mais également l’histoire d’autres personnes que j’ai aidées. Je les informe que j'ai personnellement effectué le test de dépistage et que ce n'est que pour leur bénéfice. Cela les rassure. »
Mohamed, comme les autres PE d’Autre Regard, s’implique corps et âme dans sa mission, conscient de jouer un rôle clé pour empêcher la progression de la maladie à Djibouti.
« C'est difficile.... Mon côté émotion prend un coup au moment de la sensibilisation. Si quelqu'un en face de moi est triste, je deviens aussi triste, si elle est heureuse, je le suis également. Lorsque je propose de passer un examen ou que je donne des conseils, on me répond que je ne suis pas médecin. Mais je ne lâche pas, j'intensifie la communication avec eux et je continue jusqu'à ce qu'ils comprennent. »
En 2022, l’association Autre Regard a réalisé des activités de prévention, de dépistage et de soin auprès de plus de 2 000 personnes appartenant aux population clés, permettant de dépister une trentaine de cas positifs. Ces résultats, bien qu’encourageants compte tenu du faible nombre de PE actifs, ne représentent cependant que 40% des groupes à hauts risques identifiés et sont loin des cibles de l’association en matière de dépistage et de prévention. Afin de renforcer son maillage des « points chauds » et accroître ses activités, l’association Autre regard prévoit de recruter davantage de PE en 2024. L’association sera également appuyée, avec l’aide du financement du Fonds Mondial, pour former les PE et les équiper de tests rapides qui leur permettront de procéder à des dépistages communautaires réduisant ainsi les refus de dépistage liés à la peur et la stigmatisation.
Les témoignages des bénéficiaires et des pairs éducateurs d’Autre Regard démontrent qu’il reste encore beaucoup d’efforts à fournir à Djibouti, en particulier en matière de perception et de compréhension de la maladie, pour atteindre les objectifs nationaux fixés. Ils soulignent également la pertinence de l’approche communautaire utilisée par l’association pour aborder, sensibiliser, dépister et soutenir les populations à risques, en particulier dans un contexte de forte stigmatisation. Bien que ne disposant qu’un d’un faible nombre de PE, Autre Regard effectue un travail de fonds unique à Djibouti qui lui permet de toucher et d’inclure des populations généralement laissées pour compte.
[1] Rapport de suivi de la Déclaration d’engagement sur Le VIH/Sida – UNGASS 2010, (https://www.unaids.org/sites/default/files/country/documents/djibouti_2010_country_progress_report_fr.pdf)