Survivre à un naufrage au large de Djibouti : témoignages de Mahmoud et Mohamed
Mahmoud avait 18 ans lorsqu’il a vu la mer pour la première fois. Il se souvient à quel point la peur l'avait submergé.
Lorsqu’il entreprit son voyage de l’Éthiopie vers l’Arabie Saoudite, ce jeune berger éthiopien ne se doutait pas qu’il allait devoir traverser une mer. Après de longues journées de marche depuis le village de ses parents le long de ce qu'on appelle la Route de l'Est, Mahmoud est arrivé à Obock, une ville côtière du nord de Djibouti, séparée du Yémen par quelques kilomètres de mer. Là, il se retrouve face aux eaux bleues du golfe d'Aden.
"La peur m'a saisi, mais j'ai dû surmonter cette peur et traverser cette mer pour réaliser mon rêve : atteindre l'Arabie Saoudite et la vie qui m'y attendait".
Son rêve a été nourri par les réussites de compatriotes qui ont travaillé en Arabie Saoudite. "En Éthiopie, personne ne parle des difficultés ou des dangers qui pourraient nous attendre sur cette route. Au lieu de cela, on se concentre uniquement sur les réalisations de ceux qui ont la chance d'y trouver un emploi."
Mahmoud avait été assuré d'un voyage d'une durée de moins de dix jours, sans obstacles, avec des perspectives d'emploi disponibles à son arrivée, selon la Matrice de Suivi des Déplacements (DTM) de l'OIM avril 2024, 90 % des migrants interrogés à Djibouti ont cité des raisons économiques comme motivation à migrer.
Sur la rive opposée de la mer, Mahmoud a enduré plus de deux ans et demi dans des conditions extrêmement précaires. Il réussit à trouver du travail occasionnel dans les champs, juste assez pour se nourrir. De plus, il a dépensé d’importantes sommes d’argent envoyées par sa famille pour traverser la frontière avec l’Arabie Saoudite. Après onze tentatives infructueuses, Mahmoud décide de rentrer chez lui.
Sa famille l'a soutenu dans l'organisation et le financement du voyage de retour. Même s'il éprouvait un sentiment de honte de ne pas avoir atteint son objectif, l'attente de retrouver ses proches le remplissait d'enthousiasme à l'approche de la traversée prévue en avril. Le premier trimestre 2024 a vu une augmentation significative du nombre de retours depuis le Yémen avec 3 682 migrants rentrant à Djibouti. C'est plus du double du chiffre de la même période en 2023, selon la matrice DTM de l'OIM.
Le soir du départ, près de 80 personnes s'apprêtaient à monter à bord d'un simple bateau. Mahmoud raconte que tout le monde a eu peur en voyant l'état du bateau et du moteur, bricolés sur place sous leurs yeux.
"Dès le début, nous avons eu très peur", répète-t-il. "Après avoir traversé un moment, le bateau a heurté un rocher et s'est arrêté. Les pilotes ont alors déclaré que nous étions presque arrivés à Obock, en montrant les lumières qui scintillaient au loin, et ont dit à tout le monde de nager jusqu'au rivage. Ceux qui ont essayé se sont noyés, car la mer était très profonde et Obock n'était pas aussi proche qu'on le disait."
Le naufrage a eu lieu le 22 avril 2024 vers deux ou trois heures du matin. Pendant plus de 8 heures, Mahmoud a été de ceux qui se sont accrochés au bateau. Il décrit avec beaucoup d'émotion comment, à côté de lui, le plus épuisé s'est lâché et s'est noyé.
Sur le même bateau se trouvait Mohamed, 19 ans, qui avait lui aussi décidé de rentrer en Ethiopie, après sept mois au Yémen. Il a perdu un ami et s'est cassé la jambe dans un accident de voiture alors qu'il tentait de traverser la frontière entre le Yémen et l'Arabie saoudite. Mohamed raconte : "J'ai passé deux jours seul sans aucune aide, je ne pouvais pas marcher, j'avais mal, j'avais soif, j'avais faim. Le troisième jour, un groupe d’éthiopiens m'a aidé et m'a emmené à l'hôpital où j'ai passé quelques jours, j'en suis ressorti avec la jambe plâtrée et trois jours plus tard j'étais sur le bateau."
Le navire et ses occupants étaient à la dérive près des mangroves de Goddoria. L'unité des garde-côtes djiboutienne stationnée à Khor Anghar a rapidement alerté le service de recherche et de sauvetage basé à Djibouti et a lancé une opération de sauvetage pour sauver le plus grand nombre d'individus possible. De telles alertes sont généralement émises de cette manière, ou par des témoins d'un incident, souvent des pêcheurs, qui appellent la ligne d'urgence 1500, un numéro accessible à tous.
Le lieutenant Youssef Issa Iyeh, chef du département de recherche et de sauvetage des garde-côtes djiboutiens, explique que depuis sa création en décembre 2010 : "Le service a été très actif, réalisant de nombreuses opérations de sauvetage en mer, notamment auprès des touristes étrangers à bord des voiliers en détresse et des migrants victimes de naufrages." Il a également souligné le rôle du commandant des Garde-côtes, le colonel Wais Omar Bogoreh : "L'engagement constant et les efforts du commandant pour développer ce service nous ont permis de sauver des milliers de vies et de porter assistance à de nombreuses personnes en détresse en mer."
Le service de recherche et de sauvetage comprend un groupe diversifié de professionnels, dont des femmes, possédant une expertise dans des domaines tels que les soins infirmiers d'urgence, la surveillance des sauveteurs et la plongée de sauvetage. Les intervenants de première ligne du ministère de la Santé et l'équipe de l'OIM à Djibouti ont rapidement rejoint l'opération, fournissant un soutien médical, mental et psychosocial immédiat aux survivants, et aidant à l'enterrement de ceux qui n'ont pas survécu.
Mahmoud et Mohamed faisaient partie des trente-trois survivants de ce naufrage, deux semaines seulement après une tragédie similaire. Le total des migrants morts et portés disparus suite à ces deux événements s'élève à 86 personnes, dont des femmes et des enfants.
L'équipe de l'OIM du Centre d’Orientation et d’Assistance aux Migrants d'Obock a offert à Mahmoud, Mohamed et aux autres survivants une protection et une assistance psychosociale ainsi que des soins médicaux, de l'eau, des repas et un hébergement. Six d’entre eux ont choisi de rester quelques jours jusqu’à pouvoir participer à un programme d’aide au retour volontaire et à la réintégration en Éthiopie. Les autres souhaitaient poursuivre immédiatement leur voyage de retour.
Mahmoud explique à quel point il se sent coupable abandonnant la vie qu'il menait autrefois en Éthiopie à la recherche d'un hypothétique avenir meilleur et qu'il a le sentiment d'avoir perdu son temps à vivre dans une extrême vulnérabilité au Yémen. Il dit qu'à son retour chez lui, il racontera son histoire et partagera son expérience avec ceux qui l'entourent, afin que le traumatisme qu'il a vécu puisse être utilisé à des fins utiles. "C'est ma responsabilité d'informer les autres de la réalité, de la vraie réalité. Je le ferai non seulement dans ma région mais partout où j'irai."
Dans le but de sauver des vies et protéger les personnes en déplacement, conformément à l'objectif 1 du Plan stratégique de l'OIM, l'OIM Djibouti contribue actuellement à soutenir la Garde-côtes djiboutienne à travers un projet financé par le gouvernement du Japon et gère le Centre d’Orientation et d’Assistance aux Migrants à Obock grâce au financement de l'Agence suédoise de coopération internationale pour le développement, la gouvernement de la France et le gouvernement de la Norvège. Ce soutien est aligné sur le Plan régional de réponse aux migrants (MRP) pour la Corne de l'Afrique, le Yémen et l'Afrique du Sud.