Atelier de formation initiale du personnel de santé de Djibouti à la surveillance et la prise en charge des cas de la lèpre
En aparté avec Dr Iftin Osman Moussa, médecin spécialiste en dermatologie-vénérologie
Docteur, vous étiez un des facilitateurs lors de cette formation et nous avons choisi de vous donner la parole aujourd’hui en tant que docteur, femme, djiboutienne et experte dans le domaine. L’information est capitale pour une meilleure compréhension de la maladie et avoir une autre approche des personnes touchées par la lèpre. Pourriez-vous nous parler de cet atelier, et de ses objectifs, qui s’est tenu au Sheraton Djibouti hôtel ?
Je suis ravie de vous aider à mieux comprendre les composantes de cette maladie. Cet atelier sur la prise en charge des cas de la lèpre s’inscrit dans le cadre du renforcement des capacités du personnel de santé. Elle est dédiée exclusivement aux médecins généralistes qui constitue le pilier principal de la pyramide sanitaire. Ce sont des médecins issus des centres de santé communautaires de Djibouti et des régions de l’intérieur. Par ailleurs, il est primordiale de rappeler que la sensibilisation à la lèpre doit être inclue dans les programmes d'enseignement des écoles de médecine et des soins infirmiers, afin de susciter une prise de conscience chez les prestataires de soins.
Pourriez-vous nous expliquer les mécanismes de la lèpre, sans trop de technicité, pour une meilleur compréhension de cette maladie par l’ensemble de nos lecteurs qui ne sont pas tous dans le domaine de la santé ?
La lèpre est une maladie infectieuse chronique causée par une bactérie appelée «bacille de Hansen ». Il s'agit d'un fléau qui touche beaucoup de pays et qui constitue un réel problème de santé publique mondiale. Il faut savoir que cette maladie a un tropisme ou une préférence au niveau de 3 régions du corps à savoir le système nerveux, la peau et les yeux. C’est une maladie dont on peut guérir mais qui reste encore aujourd’hui stigmatisante, invalidante, physiquement parlant, et qui isole les personnes infectées.
Il existe deux grands groupes de cas de lèpre selon la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé :
- La première : Forme dite « paucibacillaire » qui nécessite 6 mois de traitement
- La deuxième : Forme dite « Multibacillaire » avec 12 mois de traitement
A ce jour, le traitement existe et j’insiste sur ces trois points : il est efficace, gratuit et accessible à tous ! Le traitement est basé sur une polychimiothérapie associant 3 molécules identiques chez l’adulte et l’enfant mais dont la posologie varie. Ce traitement lorsqu'il est donné à un stade précoce permet d'éviter les incapacités physiques.
Docteur, quels sont les facteurs de risques qui font que cette maladie se développe ou existe encore ?
Pour répondre à cette question, il faudrait revenir sur l’expression clinique de la maladie. Communément appelé, les symptômes, dans un jargon moins technique, dépendent de l’état immunitaire et de santé du patient : plus la personne est dans un état de malnutrition, dans une extrême pauvreté, plus elle aura de risques de développer la maladie. L’extrême pauvreté engendrant des conditions d’hygiènes critiques par manque de moyens et la promiscuité sont les plus grands facteurs de risque d’où l’appellation historique de la lèpre : « la maladie des pauvres ».
Est-ce que le climat, notamment très chaud à Djibouti, serait un moyen ou un facteur minimisant de contracter cette maladie ou cela serait une fausse perception ?
Hélas, non. C’est une question qui revient souvent. Les températures élevées ou le climat de Djibouti n’en protègent pas. C’est une fausse perception qu’il faut combattre. Cette maladie se contamine par voie respiratoire.
Docteur Iftin Osman, qu’en est-il de la situation dans le monde ?
Durant ces 3 décennies, des progrès remarquables ont été accomplis dans la lutte contre la lèpre. Toutefois, des milliers de personnes en sont toujours atteintes. Au niveau mondial, la plupart des pays ont réussi à éliminer la lèpre en tant que problème de santé publique. L’engagement politique des états africains ont conduit à la mise en place de programme de lutte contre la lèpre. Malheureusement en Afrique peu de pays ont atteint le seuil fixé dans la course à l’élimination de la lèpre. En 2014, le taux de nouveaux cas de lèpre restait très élevé soit environ de 2,44 pour 100.000 habitants. La lutte doit continuer pour espérer une éradication définitive de cette maladie dans le monde. C'est pour cela que la stratégie mondiale de lutte contre la lèpre 2016-2020 repose sur 3 principes fondamentaux :
- Prendre de réelles mesures, efficaces et adaptées au contexte de chaque pays
- Garantir la responsabilité
- Promouvoir l'inclusion
Et à Djibouti, comment s’organise cette lutte contre la lèpre ?
Le ministère de la santé appuie les initiatives de lutte et encourage pleinement la formation des agents de santé pour être apte à répondre à la situation. Nous avons eu à prendre en charge mes collègues dermatologues ainsi que mes collègues infectiologues et moi-même, certains patients atteints de la lèpre et fournit un traitement. Malheureusement, il s’est avéré compliquer de maintenir un suivi et un contrôle au quotidien. C’est dans cette optique qu’a eu lieu la formation des médecins généralistes pour qu’ils puissent acquérir les outils nécessaires dans le dépistage précoce et la prise en charge des patients. Cela permet également une mobilisation des ressources humaines afin de regrouper des informations et des données pour établir un profil épidémiologique des cas de lèpres. L'objectif final est aussi de décentraliser la prise en charge de la lèpre dans les régions de l’intérieur.
Docteur Iftin Osman, merci pour ce focus sur la lèpre pour nos abonnés ! Un dernier mot ?
De rien, c’est avec plaisir ! On remercie les équipes de l’OMS Djibouti, notamment Dr Renée Van De Weerdt, représentante de l’OMS Djibouti ainsi que le Dr Edie-Alain Kemenang qui ont initié, en collaboration avec le ministère de la santé, cette formation et nous accompagne dans la prise en charge intégrée des maladies tropicales négligées.